đŸș DĂ©clamation de "rĂȘveries d'un loup-garou" de Dominique Venner, par Thibaud Cassel

   

Institut Iliade

 

Published on Oct 3, 2020

“Vendredi 26 novembre. La pendulette de bord annonce 16 heures. Mon regard las somnole sur un ocĂ©an de verre et de bĂ©ton. Nous roulons vers le tunnel de Saint-Cloud. Au vrai, nous ne roulons pas. Dans notre immobilitĂ©, nous sentons pourtant la vibration de l’immense pont en spirale qui enjambe la Seine. Notre serpent mĂ©tallique, cul contre nez, est figĂ© dans l’attente, espĂ©rant la dĂ©cision d’aveugles divinitĂ©s. Mais le langage qu’entendent les dieux s’est perdu. Puantes et capitonnĂ©es, nos boĂźtes de tĂŽle, stagnent, prisonniĂšres d’un euphĂ©misme appelĂ© « ralentissement ». Au temps de La BruyĂšre, on disait un embarras. Cela ne concernant que trois carrosses, sentait le cheval ou le crottin.

EngluĂ©s dans ce rigide ruban, nous progressons par d’imprĂ©visibles saccades, passant nos rages sur les autres victimes. Chaque annĂ©e, l’agressivitĂ© routiĂšre tue quelques milliers de bipĂšdes irascibles. Elle est le dernier exutoire accordĂ© aux mĂąles en voie de castration. Sur la file de droite, un automobiliste aux yeux vides tressaille au rythme de sons inaudibles. Dans mon rĂ©troviseur, se dessinent les contours imprĂ©cis d’un conducteur au sexe non identifiĂ©. Prenant appui sur mon volant, j’ouvre un recueil de nouvelles de Giono. Je suis un lecteur d’embouteillages. Dans la ville, cette habitude me vaut les invectives furieuses des impatients. Je savoure des lignes qu’on dirait Ă©crites pour me laver de cet instant mĂȘme :

« Il n’y aura de bonheur pour vous que le jour oĂč les grands arbres crĂšveront les rues, oĂč le poids des lianes fera crouler l’obĂ©lisque et courbera la Tour Eiffel ; oĂč devant les guichets du Louvre on n’entendra plus que le lĂ©ger bruit des cosses mĂ»res et des graines sauvages qui tombent ; le jour oĂč des cavernes du mĂ©tro, des sangliers Ă©blouis sortiront en tremblant de la queue
 »

Cela viendra. MalgrĂ© mon attachement Ă  cette ville unique, le rĂȘve d’une nature qui se venge est doux Ă  l’imagination. Il chemine et prolifĂšre. John Boorman en avait fait le thĂšme de La ForĂȘt d’Émeraude. A la fin du film, attirĂ©es par le chant des grenouilles, des pluies diluviennes font sauter un barrage gĂ©ant, sauvant la grande forĂȘt amazonienne et les Indiens.

Un furieux coup d’avertisseur me ramĂšne sur la « bretelle » autoroutiĂšre pour un saut de lapin. Le temps s’est mis au froid. En avance sur la saison. Beau ciel d’hiver, voilĂ© d’une brume lĂ©gĂšre que le vent effiloche. Comment le ciel peut-il sembler aussi transparent malgrĂ© la calotte grise coiffant la ville ?

A travers le pare-brise, je lÚve les yeux. Stupéfaction ! Ce que je vois me fait courir le bonheur dans le sang.

Ils sont deux, trĂšs haut, par le travers. Deux oiseaux sauvages. Des colverts, si je ne me trompe. Fendant l’air vif au-dessus de nous, ils suivent le cours du fleuve. Fines silhouettes profilĂ©es pour naviguer au loin, reconnaissables entre toutes. L’éperon rectiligne du col et du bec s’allonge en avant du mouvement souple des ailes. Que font ces oiseaux en ces lieux, survolant d’hostiles cheminĂ©es d’usines ?

Un grand Ă©lan de sympathie me porte vers eux. La seule vue de leurs formes insoumises m’arrache Ă  ma servitude.

IndiffĂ©rents Ă  la grisaille d’en bas, les deux libres voyageurs s’éloignent en direction de l’ouest, loin de nos impatiences et de nos vanitĂ©s.

EspĂ©rant mes sentiments partagĂ©s, je cherche autour de moi un signe de connivence. Mais je ne vois que visage sombres et renfrognĂ©s, vissĂ©s sur cette route immobile. LĂ -haut, dans l’élĂ©gant balancement des ailes, le petit couple sauvage disparait vers le soleil couchant. Oubliant le boa de ferraille dans lequel ma carcasse est enfermĂ©e, je remercie le sort de m’avoir donnĂ© l’Ɠil complice du chasseur. MalgrĂ© ce qui m’enchaĂźne au sol, je suis du monde de ces oiseaux sauvages, j’appartiens Ă  leur libertĂ©. Et cela, personne ne pourra me l’enlever”.

Dominique Venner - Dictionnaire Amoureux de la Chasse


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